Plus tard dans la soirée, je regarde les photographies en première page du
Nation quotidienne
. « LES MÈRES DE PRISONNIERS DÉTENUS SANS PROCÈS FUIENT. » Hier revient dans mes yeux. Je les vois. Ils fuient devant la charge brutale de la brigade anti-émeute et des paramilitaires. Casquée, armée et blindée de métal, l'armée de jeunes hommes, semblable à une machine, assaille les vieilles mères en robes de coton et foulards. Assembler les photos de journaux avec ce que j'ai vu hier, c'était comme réunir deux morceaux d'une photographie déchirée. D'abord, les femmes se sont rassemblées comme des animaux pris au piège, se serrant les unes contre les autres dans une étreinte serrée. Un câlin combiné à l'unisson par peur. De confort. De courage. De l'unité. De la solidarité des mères. Je sentais que j'étais dans ce cercle d'étreinte humaine. Certains gémissent de miséricorde, d'autres chantent des hymnes. Les mères âgées pensaient que le président les écouterait, car il avait aussi une mère. Puis l'un d'eux s'est avancé devant le contingent de jeunes hommes armés et elle a commencé à arracher les vêtements de son corps. En Afrique, c'est un tabou de voir une femme, qui a l'âge de ta mère, si affligée qu'elle se déshabille abandonner sa dignité à un jeune homme de l'âge de son fils qui, par coutume, est aussi son fils. C'est un geste de maternité blessée que beaucoup ne comprennent pas. Un geste qui montre qu'il n'y a plus d'utu ou d'humanité dans la société. De montrer une humiliation auto-infligée qui dit que ça ne vaut pas la peine d'être ta mère.
C'est l'humiliation du sacré de l'utérus, c'est-à-dire celui qui donne la vie. La honte et le péché rempliraient les yeux des spectateurs. En Afrique, je le répète, voir la nudité de sa mère est une honte et une malédiction. Tout le monde sait qu'il fait mal à la terre quand la mère abandonne son honneur au regard de ses fils. De plus en plus de mères s'avancent, arrachant les vêtements de leurs cadres ratatinés, crachant des jurons et du dégoût, arrachant les foulards, rejetant l'amour maternel pour la rage et renonçant à la dignité que la nature leur a léguée lorsqu'elles ont accouché. Ils se rendaient au mépris du viol de leurs fils. Ils chantent des hymnes à l'unisson, défiant les hommes armés de venir, de les toucher et de déshonorer leurs mères jusqu'à ce qu'ils se sentent satisfaits. Qu'avaient-ils de plus à perdre quand ils ont tout perdu, c'est-à-dire leur amour-propre ? Certains policiers se couvrent les yeux, d'autres se retournent et pourtant il y en a qui avancent sans pudeur. Ils diraient qu'ils avaient des ordres. Ou ils ne sont pas de la même tribu donc la malédiction ne leur ferait pas de mal ou qu'ils soient chrétiens maintenant. Que ce ne sont pas leurs mères. Ils ne croient pas aux superstitions et aux coutumes primitives. Jamais auparavant, pas même sous les Anglais, même pendant les troubles de la circoncision des filles au Mont Kenya, les mères d'Afrique n'avaient été réduites à une telle humiliation que sous le gouvernement noir de Nyayo.